RAPPORT PRÉÉLECTORAL N°01/23/ MODELE MALI
La Mission d’observation des élections au Mali (MODELE Mali) a pris note du report de la date du Référendum prévu pour le 19 mars 2023, suite à la pubblication du communiqué n°046 du gouvernement de Transition du vendredi 10 mars 2023. Aucune nouvelle date du scrutin référendaire n’a été annoncée.
La MODELE rappelle que le gouvernement avait communiqué un calendrier électoral à la CEDEAO en juin 2022, en même temps qu’une nouvelle loi électorale, en vue de la levée des sanctions prises à l’encontre du Mali.
Au vu du report de la date du référendum, la MODELE fait un certain nombre de constats et de recommandations.
1. Les constats
1.1. Concernant le chronogramme
Le chronogramme communiqué à la CEDEAO comporte 6 grandes élections ; à savoir :
o Le référendum constitutionnel : 19 mars 2023
o Les élections des conseillers communaux : 25 juin 2023
o Les élections des conseillers de cercles : 25 juin 2023
o Les élections des conseillers régionaux et de district : 25 juin 2023
o Les élections législatives : 29 octobre et 19 novembre 2023
o L’élection présidentielle : 4 février et éventuel second tour le 18 février 2024
Au vu de l’article 4 de la loi électorale n°2022-019 du 24 juin 2022, la MODELE relève que c’est l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections (AIGE) qui doit communiquer un chronogramme électoral et non le gouvernement.
Par conséquent, la MODELE attend de l’AIGE la publication d’un chronogramme électoral actualisé.
1.2. Concernant l’AIGE
La MODELE a constaté que le Collège de l’AIGE a été installé par le Président de la Transition le 10 janvier 2023. Selon l’article 24 de la Loi électorale en vigueur, les coordinations de l’AIGE au niveau des régions, cercles, communes, ambassades et consulats doivent être mises en place 6 mois avant les élections. Ce qui n’a pas encore été réalisé. Le délai est réduit à 3 mois au plus, selon l’article 24 nouveau de la Loi N°2023-001 du 13 mars 2023 portant modification de la Loi électorale n°2022-019 du 24 juin 2022 portant Loi électorale.
Aussi, la MODELE espère voir la concrétisation rapide de la mise en place et de l’opérationnalisation des coordinations de l’AIGE, sans lesquelles il ne saurait y avoir d’élections.
1.3. Concernant la relecture de la loi électorale
Après relecture de la Loi éléctorale par le Conseil National de Transition (CNT), la loi modificative a été promulguée le 13 mars 2023.
Trois points principaux ont été revus :
o Le vote par anticipation des Forces armées et de sécurité,
o L’introduction de la carte d’identité biométrique en lieu et place de la carte d’électeur comme document d’identification de l’électeur, et
o Le délai de 3 mois maximum au lieu de 6 mois pour la mise en place des coordinations de l’AIGE au niveau des régions, cercles, communes, ambassades et consulats.
Concernant le vote par anticipation des membres des Forces Armées et de sécurité une semaine avant les différents scrutins, la MODELE pense que c’est un élément qui peut donner lieu à des irrégularités électorales majeures. Par ailleurs, l’AIGE, qui est responsable de la confection du fichier électoral, doit également apporter des précisions sur la manière dont seraient traitées ces listes électorales spécifiques dans le fichier électoral général.
Pour rappel, la loi électorale 2016-048 du 17 octobre 2016 avait introduit en son article 87 : « Le scrutin a lieu un dimanche (…). Dans tous les cas, le scrutin est ouvert le dimanche précédent pour les membres des Forces Armées et de Sécurité. » Ce dispositif n’a pu être satisfait lors des élections communales de 2016 et a été simplement biffé dans la Loi 2016-048 du 17 octobre 2016 modifiée par la Loi 2018-014 du 23 avril 2018 portant loi électorale.
Par rapport à l’institution de la carte nationale d’identité biométrique sécurisée comme carte d’électeur, la MODELE observe que les moyens mis en œuvre pour la mise à jour des données des citoyens sont insuffisants, notamment le nombre de lieux et d’équipes de travail sur le terrain en charge des demandes à traiter. Cela nécessite en conséquence de multiplier les lieux de délivrance ainsi que les équipes de travail. Par ailleurs, un mécanisme de facilitation doit être accordé aux personnes vivant avec handicap pour l’obtention de leurs cartes.
Selon le communiqué du ministère de la Sécurité et de la Protection civile (MSPC), en date du 14 février 2023, l’opération de mise à jour des données prendra fin le 31 mars 2023. Ce délai ne permettra pas aux citoyens désireux de mettre à jour leurs données d’effectuer ces démarches à temps.
Par ailleurs, il serait utile de privilégier les près de 8 millions de citoyens inscrits sur le fichier électoral pour l’établissement des cartes d’identité afin qu’ils puissent voter lors du scrutin référendaire. En effet, suivant l’article 71 nouveau de la Loi N°2023-001 du 13 mars 2023 portant modification de la Loi électorale n°2022-019 du 24 juin 2022 : « La carte nationale d’identité biométrique sécurisée tient lieu de carte d’électeur… ».
En ce qui concerne la réduction du délai de mise en place des Coordinations de l’AIGE à 3 mois au plus au lieu de 6 mois, la MODELE estime que c’est une bonne chose permettant la tenue des élections dans un délai plus court. Toutefois, des dispositions doivent être prises par l’AIGE et les autorités pour l’effectivité de la mise en place et de l’opérationnalisation des coordinations de l’AIGE sur l’ensemble du territoire (régions, cercles et communes) et à l’extérieur (ambassades et consulats), objet de la lettre d’information de l’AIGE, du 24 février 2023, adressée aux partis politiques et à la société civile.
Lors des séances d’écoute devant la commission des Lois du CNT, la MODELE a réitéré ses préoccupations qui n’ont pas été prises en compte lors de la relecture de la Loi électorale. Il s’agit notamment de :
o La définition des contours de « la gestion des observateurs nationaux et internationaux » par l’AIGE, prévue à l’article 4 de la Loi électorale, et les attributions de l’observation électorale en permettant aux observateurs d’être présents à toutes les étapes du processus électoral ; y compris aux différents niveaux de centralisation des résultats provisoires et définitifs.
o La prise en compte de la publication en ligne des résultats détaillés par bureau de vote, au fur et à mesure du dépouillement des votes dans chaque bureau de vote. Elle permet d’éviter les conflits et d’éventuels tripatouillages des résultats pendant la remontée et la centralisation des résultats, contribuant ainsi à la transparence et à la crédibilité des élections. Elle permet également d’obtenir les résultats par bureau de vote avant le début légal du contentieux.
1.4. Concernant le projet de constitution
Dans un communiqué, en date du 15 mars 2023, les autorités de la Transition ont annoncé que le projet de constitution a été validé par le Président de la Transition et qu’il sera présenté aux forces vives de la Nation le 20 mars. Une vulgarisation du projet auprès de la population malienne est également envisagée.
La MODELE a analysé ledit projet principalement sur les aspects électoraux.
Ainsi, elle salue les avancées comme la reconnaissance du rôle de la société civile, le renforcement des droits de l’Homme, avec la garantie de protection des droits des personnes vivant avec un handicap, la prise en compte des droits de l’enfant et l’interdiction expresse de l’esclavage.
Elle salue aussi l’introduction des Normes et Conventions internationales, comme la Déclaration de Bamako de 2000, le Protocole additionnel de la CEDEAO de 2001 et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance de 2007, dans le projet de Constitution. En effet, le Chapitre V du projet de Constitution intitulé « DES FORCES ARMÉES ET DE SÉCURITÉ » énonce clairement et pour la première fois que :
o « Les Forces armées et de sécurité sont chargées de la défense de l’intégrité du territoire national, de la protection des personnes et de leurs biens, du maintien de l’ordre public et de l’exécution des lois. Elles participent aux actions de développement économique, social et culturel du pays » (article 89) ;
o « Les Forces armées et de sécurité sont au service de la Nation. Elles sont républicaines, apolitiques et soumises à l’autorité politique » (article 90).
Les articles 48 et 96 du projet de Constitution constituent des avancées. Suivant l’article 48, le second tour de l’élection Présidentielle se tient le troisième dimanche suivant la proclamation définitive des résultats du premier tour par la Cour Constitutionelle. Avec l’article 96, le mode de scrutin pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale est élargi aux modes de scrutin majoritaire, proportionnel ou mixte.
Toutefois, la MODELE attire l’attention sur des modifications supplémentaires concernant la loi électorale et une relecture de la loi organique n°02-010/ du 05 mars 2002 portant Loi organique fixant le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée Nationale en cas de vacance de siège, leurs indemnités et déterminant les conditions de la délégation de vote.
1.5. Concernant la réorganisation territoriale
La MODELE rappelle que le Mali est actuellement à la phase 5 du découpage territorial, depuis l’accession du pays à la souveraineté nationale en 1960.
Suite à la promulgation des lois des collectivités territoriales et administratives, le 13 mars 2023, le Mali compte désormais : 19 régions, 1 district, 159 cercles, 466 arrondissements, 819 communes et 12 712 villages. Les autorités de la Transition ont créé 99 nouveaux cercles.
Avec le souhait exprimé des autorités de la Transition d’opérationnaliser toutes les nouvelles entités avant les prochaines élections, la MODELE s’interroge sur la disponibilité des ressources humaines, matérielles et financières pour mener à bien ce projet.
Des questionnements subsistent également quant à la mise en place et à l’opérationnalisation de l’administration locale ainsi que des coordinations de l’AIGE sur toute l’étendue du territoire. Ce problème se pose plus particulièrement au niveau communal dans les endroits en proie à l’insécurité.
2. LES RECOMMANDATIONS
En vue du respect du délai des 24 mois supplémentaires accordés à la Transition (après la non tenue du délai des 18 mois) et la sortie de la période de transition en mars 2024, la MODELE formule les recommandations suivantes :
Aux Autorités de la transition :
o La mise en place d’un dialogue politique inclusif entre les autorités et l’ensemble des partis politiques. Ce dialogue devra porter sur toutes les questions pertinentes de l’heure, y compris le système électoral et son impact sur la représentation nationale ;
o La large vulgarisation du contenu du projet de Constitution dans toutes les langues nationales ;
o La large vulgarisation du contenu des lois sur la réorganisation territoriale dans toutes les langues nationales ;
o L’opérationnalisation des nouveaux cercles et régions ;
o La relecture de la Loi n°02-010/ du 05 mars 2002 portant Loi organique fixant le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée Nationale en cas de vacance de siège, leurs indemnités et déterminant les conditions de la délégation de vote.
A l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections (AIGE) :
o L’accélération du processus d’installation et d’opérationnalisation de ses coordinations dans les régions, cercles, communes, ambassades et consulats, conformément aux articles 22, 23 et 24 de la Loi électorale en vigueur ;
o La publication d’un calendrier électoral réaliste et réalisable pour le retour à l’ordre constitutionnel ;
o La mise en place dans les meilleurs délais du processus d’accréditation des observateurs tel que prévu à l’article 39 de la Loi électorale. Par ailleurs, il serait utile que le président de l’AIGE précise l’étendue des attributions des observateurs en mentionnant leur présence à toutes les étapes du processus électoral ; y compris aux différents niveaux de centralisation des résultats provisoires et définitifs.
Bamako, le 18 mars 2023
Annexe : Note sur la réorganisation territoriale :
De 1960 à 1977, avec Modibo Kéîta et Moussa Traoré, le Mali comptait 6 régions (Kayes, Bamako, Sikasso, Ségou, Mopti et Gao) et 42 cercles.
De 1977 à 1991, avec Moussa Traoré, il y a eu 7 régions (Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti, Tombouctou et Gao, plus le district de Bamako), 46 cercles, 281 arrondissements et 9 communes.
De 1991 à 2011, avec Amadou Toumani Touré (ATT) et Alpha Oumar Konaré, le nombre a augmenté à 8 régions (avec la création de la région de Kidal) , 49 cercles, 285 arrondissements et 703 communes.
En 2012, avec ATT, le Mali compte 19 régions (Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudéni, Ménaka, Nioro, Kita, Dioïla, Nara, Bougouni, Koutiala, San, Douentza, Bandiagara en plus du statut particulier du district de Bamako) et 60 cercles. Il y a eu un rajout de 11 régions et 11 cercles (Taoudénit, Foum-Elba, Achouratt, Al-Ourche, Araouane et Boû-Djébéha – Région de Taoudénit ; Almoustrat – Région de Gao; Anderamboukane, Inékar et Tidermène – Région de Ménaka et Achibogho – Région de Kidal).
Le début d’opérationnalisation des 11 nouvelles régions de 2012 a commencé en 2020, après le coup d’Etat contre Ibrahim Boubacar Kéïta. Les 11 nouveaux cercles de 2012, par faute d’opérationnalisation, n’ont pu participer aux élections législatives de 2020.
La Mission d’Observation Des Élections au Mali – MODELE Mali est le dispositif d’observation électorale mis en place par la Synergie 22, comprenant 43 organisations de la société civile ma¬lienne, composée de : l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali – OBSERVATOIRE, l’Association des Jeunes pour la Citoyenneté Active et la Démocratie (AJCAD), DONIBLOG (la communauté des Bloggeurs du Mali), Droits de l’Homme au Quotidien (DHQ) et Tuwindi.
Contact Presse
Dr Ibrahima SANGHO, Chef de mission MODELE Mali
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