Bilal Ag Acherif : « Depuis son arrivée au pouvoir, la junte dirigée par Assimi Goïta veut nous détruire »
Acteur central de la rébellion indépendantiste de 2012, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) fait partie des groupes armés qui ont repris les armes contre Bamako. Jeune Afrique a rencontré son chef, Bilal Ag Acherif.
Il flotterait presque un air de normalité en cette soirée d’octobre dans le septentrion malien. Ni la gaieté des hommes qui préparent le thé ni la voix calme de Bilal Ag Acherif ne disent la guerre qui fait rage depuis plusieurs jours dans la région de Kidal. Pas même le bruit des armes qui, pour quelques heures, se sont tues.
Né dans la guerre
Assis sur une natte, entouré de pick-ups surmontés d’armes lourdes, le secrétaire général du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), cadre de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et protagoniste de la rébellion indépendantiste de 2012, ne montre aucun signe de fébrilité. Bilal Ag Acherif est né dans la guerre, peut-être y mourra-t-il aussi.
En août dernier, les combats ont repris entre les belligérants du Nord, réunis au sein du Cadre stratégique permanent (CSP), et les Forces armées maliennes (Fama). Une guerre « d’un nouveau genre », selon Bilal Ag Acherif, à laquelle se sont agrégés des mercenaires du groupe Wagner, venus appuyer les Fama.
Âgé de 46 ans, l’homme explique être convaincu que de cette nouvelle guerre dépend « l’existence même des peuples de l’Azawad ». Quelques jours plus tôt, les mouvements à dominante touarègue ont battu en retrait à Anéfis, sur la route de Kidal, après d’intenses combats. Ils se sont repliés afin d’ « éviter un bain de sang », assurent-ils. Ce n’est sans doute pas ainsi que l’armée malienne, qui a repris le contrôle de cette importante localité, voit les choses.
Depuis, et malgré le début des combats à Tessalit dans l’extrême-nord du pays, un calme relatif s’est installé aux environs de Kidal, fief des rebelles et objectif ultime des Fama. Assis près du feu où seront cuits les pains de sable qui accompagneront le lait et les dattes, Bilal Ag Acherif souhaite que le lieu de la rencontre soit tenu secret, mais il a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : L’accord d’Alger signé en 2015 est-il définitivement enterré ?
Bilal Ag Acherif : Après avoir violé cet accord en adoptant une Constitution qui ignore ses dispositions concernant la gouvernance dans l’Azawad, le gouvernement a utilisé le retrait de la Minusma [mission de stabilisation de l’ONU au Mali] comme prétexte pour revenir sur d’autres de ses engagements.
À partir du mois d’août, le gouvernement de Bamako, épaulé par Wagner, a attaqué nos positions, à Foïta puis à Ber. Malgré tous nos appels, les attaques ont continué.
Vous tenez les autorités pour responsables de l’échec du processus de paix ?
La responsabilité de la situation à laquelle nous sommes confrontés est très clairement celle du gouvernement de Bamako et de Wagner. Le gouvernement n’a jamais eu l’intention d’appliquer les accords d’Alger. Mais la différence entre Ibrahim Boubacar Keïta [IBK] et ceux qui dirigent aujourd’hui le pays, c’est qu’IBK a au moins tenté de créer les conditions pour un minimum de confiance entre les parties.
Depuis son arrivée au pouvoir, la junte d’Assimi Goïta a eu pour seul objectif de reprendre les combats et nous détruire. Cette guerre dans le nord du Mali peut déterminer l’existence même des peuples de l’Azawad. Je pense aussi que la médiation internationale, qui a manqué d’engagement et de clarté pour pousser à l’application de l’accord, porte aussi une part de responsabilité.
Qu’en est-il de votre propre responsabilité ? Bamako vous a aussi accusé d’avoir violé l’accord à plusieurs reprises…
Le gouvernement était le seul à avoir le pouvoir d’appliquer l’accord d’Alger. Notre rôle à nous, c’était de faciliter son application en établissant, par exemple, les listes de nos combattants [à intégrer au processus de Désarmement, démobilisation et réinsertion – DDR – et à l’armée reconstituée], ou en travaillant à la mise en place d’un nouveau système de gouvernance dans le Nord. Et nous l’avons fait.
Les autorités vous ont reproché « l’installation d’états-majors dans la région du Gourma » ou encore « la conduite de patrouilles par des entités non reconnues, sans concertation ni accord du gouvernement »…
Quand nous avons signé l’accord d’Alger, les choses étaient claires : nous contrôlons et administrons une large partie de l’Azawad. Nous avons nos propres effectifs militaires, des zones de défense et de sécurité que nous gérons, et nous avons coopéré sur place avec les forces maliennes et internationales, comme avec la Minusma et avec [l’opération française] Barkhane lorsqu’elles étaient ici.
Nous sommes déployés pour assurer la sécurité de nos populations qui n’ont jamais été protégées par le gouvernement. Ce n’est en rien une violation de l’accord.
En coulisses, certains dirigeants de Bamako affirment que d’importantes sommes destinées au développement du Nord ont été détournées par les mouvements armés, et que cela aurait freiné l’application de l’accord. Que répondez-vous ?
Qu’il faut d’abord que le gouvernement nous dise clairement quels fonds ont été alloués aux mouvement dans le cadre de l’accord.
Où est allé l’argent destiné au Nord ? Il a en partie été utilisé pour le Sud, pour Bamako. Une autre partie a été utilisée par le gouvernement pour créer des problèmes dans le Nord, pour soutenir les combats entre certaines communautés ou contre les mouvements. En aucun cas cet argent n’a soutenu le développement dans le Nord.
Maintenant que la guerre a repris, quels sont vos objectifs ? Combattez-vous de nouveau pour l’indépendance de l’Azawad ?
Nous nous battons pour protéger notre peuple et pour protéger notre existence même. Car nous faisons face à une guerre d’un genre nouveau : les Fama ont de nouvelles capacités et ont recours à une société internationale de mercenaires, Wagner.
Nous nous battons aussi pour défendre notre culture et nos aspirations politiques. Nous continuerons de nous battre jusqu’à obtenir un nouvel accord avec le gouvernement qui nous garantira une administration en mesure d’offrir une nouvelle gouvernance à nos régions.
Mais l’armée malienne dispose aujourd’hui de moyens plus importants qu’en 2012. Elle a renforcé ses effectifs et s’est dotée de nouveaux moyens aériens…
Historiquement, nous n’avons jamais eu les mêmes capacités que l’État malien. Qu’il s’agisse du nombre de soldats, de l’armement, des moyens financiers et logistiques, car le Mali a toujours eu des soutiens extérieurs.
Nous nous défendons seuls, sans soutien, mais nous gagnerons cette guerre. Nous avons repris des bases militaires à l’armée et capturé de nombreux soldats. L’armée, elle, n’a fait aucun prisonnier dans nos rangs.
Que faudrait-il pour que cessent les combats ?
Que le gouvernement comprenne qu’il ne peut pas rester en Azawad sans l’assentiment du peuple de l’Azawad. Peu importe les moyens qu’il déploie, peu importe le nombre de gens qu’il tue, peu importe les soutiens qu’il reçoit. Si la junte comprend cela et accepte de discuter sérieusement d’une nouvelle relation entre le Sud et le Nord, alors la guerre s’arrêtera. Il est aussi impératif qu’il retire les mercenaires de Wagner de nos régions.
Redoutez-vous ces hommes et leurs méthodes ?
Wagner appuie l’armée, mais aussi le système militaire au pouvoir à Bamako, dont les membres se craignent les uns les autres. Sur le terrain, ses méthodes contre les civils sont terribles. Wagner tue les populations, vole leurs biens, leur argent, tout ce qu’ils ont. Les mercenaires procèdent à des exécutions de masse parmi les civils partout où ils sont.
Il y a deux semaines, ils ont décapité des civils et placé des mines dans leurs cadavres à Ersane. Ce sont des actions terroristes inhumaines. C’est un message de terreur envoyé aux populations. Nous appelons la Cour pénale internationale à ouvrir une enquête.
Les autorités vous qualifient de « terroristes ». Comment réagissez-vous à l’emploi de ce terme ?
En 1960, on nous qualifiait de bandits armés. Aujourd’hui, on dit de nous que nous sommes des terroristes, ce n’est pas nouveau. C’est une manière de se dédouaner de toute responsabilité et de ne pas chercher de solution.
Quand l’armée des putschistes de Bamako et les hommes de Wagner exécutent des vieux, des femmes, des enfants, qui sont les terroristes ? Le CSP, lui, n’est responsable de la mort d’aucun civil.
Y a-t-il des médiations pour ramener toutes les parties autour de la table des négociations ?
La médiation internationale a montré ses limites. Elle a mobilisé tous ses efforts pour parvenir à la signature de l’accord de paix, puis les a largement réduits quand il s’est agi de l’appliquer.
Toute possibilité de médiation a été détruite par le gouvernement qui a demandé à la Minusma, garante de l’accord, de quitter le Mali.
Bamako vous accuse également de collusion avec le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM ou JNIM). Leurs combattants sont-ils à vos côtés ? Une alliance de circonstance est-elle envisageable ?
Avec ses attaques initiées en août dernier, l’armée nous a forcé à défendre nos populations et nos bases. S’ils veulent nous accuser d’être alliés avec le JNIM parce que nous nous défendons, ils sont libres de dire ce qu’ils veulent. Nous nous battons seuls, avec nos populations, qu’importe ce que dit le gouvernement.
Le MSA de Moussa Ag Acharatoumane a tourné le dos au CSP, refusant que ses hommes combattent contre l’armée. Ce départ est un coup porté à l’unité de votre coalition…
Nous menons un combat pour la dignité et demandons à tous les combattants de la liberté qui défendent les droits humains de soutenir les populations de l’Azawad et le CSP. Ceux qui le veulent sont les bienvenus, les autres font ce qu’ils veulent.