L’Office central de Lutte contre l’Enrichissement illicite (OCLEI) est la nouvelle trouvaille de nos autorités pour faire face au phénomène complexe de la corruption dans notre pays. Opérationnel depuis 2017, il a la particularité de s’attaquer directement à la personne même des délinquants financiers et autres prédateurs des deniers publics. Ce qui permet du coup de combler un vide juridique et juridictionnel dont profiteraient justement certains agents publics en porte-à-faux avec la bonne gouvernance en matière gestion comparable et financière des caisses publiques. Le rapport 2022 de l’OCLEI, remis au chef de l’Etat, le 18 novembre 2023, en est la parfaite illustration au grand soulagement des populations qui constatent, avec impuissance, l’aggravation de phénomène au détriment de chacun et de tous en dépit de la lutte engagée contre ce fléau depuis belle lurette.
Le Président de l’OCLEI, Dr Moumouni GUINDO, entouré de ses proches collaborateurs, était à Koulouba, le 28 novembre 2023, pour remettre officiellement le rapport 2022 de sa structure au Président de la Transition, le colonel Assimi GOITA.
Lors de cette présentation, le Dr GUINDO a brossé un bilan sommaire des activités au titre de la contribution à la répression par voie judiciaire, allant de 2019 à 2022, faisant cas de 23 dossiers transmis à la Justice pour 23 milliards 855 millions de FCFA, soit en moyenne plus d’un milliard de francs CFA par dossier. Dans ces dossiers, les enquêtes de l’OCLEI ont identifié 503 biens immobiliers présumés illicitement acquis, à savoir : 124 maisons d’habitation, 29 bâtiments commerciaux ou professionnels, 285 parcelles et 65 concessions rurales totalisant 181 hectares. Le montant total des fonds, présumés illicites identifiés sur les comptes bancaires des 23 personnes, s’élève à 21 milliards 335 millions de francs CFA alors que, dans la même période, leurs revenus légitimes s’élèvent à 1 milliard 106 millions de francs CFA.
Cependant, la lutte contre la corruption et la délinquance financière date des premières heures de l’indépendance de notre pays, dans les années 1960, avec la mise en place successive des structures de contrôle et de gestion, sans oublier le volet répression dont la faiblesse était à la foi juridique et juridictionnelle, sonnant comme une prime à l’impunité.
En effet, malgré l’existence de ces instruments, le phénomène ne fait que gagner du terrain au point de « gangrener notre société », pour paraphraser le Président Assimi GOITA, recevant le rapport ci-dessus évoqué.
Dans son dernier rapport, le Bureau du Vérificateur avait noté, pour sa part, que les irrégularités étaient presque tendancielles en 2022 en comparaison avec le rapport de 2021.
Ce qui peut être attribué, en partie, à une opérationnalisation limitée des institutions de lutte contre la corruption ; mais aussi et surtout, parce que les agents véreux n’étaient pas spécifiquement ciblés dans leur patrimoine pour être confisqué et restitué lorsqu’il est indument constitué aux dépens de l’Etat ou des collectivités.
C’est ce qui a sans doute motivé le Mali à se mettre en phase avec le reste du monde, en application de divers instruments et conventions internationaux, en créant l’OCLEI sous la forme d’une autorité administrative indépendante par l’Ordonnance n°2015-032/P-RM du 23 septembre 2015, ratifiée par la Loi n°2016-017 du 9 juin 2016, avant le démarrage effectif de ses activités à compter du l’OCLEI à compter du 1er juin 2017.
La particularité de l’OCLEI est que, contrairement aux autres structures qui dénoncent simplement les irrégularités de manière globale, il s’attaque au patrimoine individuel des agents publics de l’Etat et des collectivités, comme souligné ci-dessus. En effet, non seulement l’OCLEI découvre ; mais aussi, il procède à la récupération, à la restitution et à la gestion des biens volés à l’État et aux collectivités à travers l’Agence de Recouvrement et de Gestion des Avoirs saisis ou confisqués, qui, à son tour, assurera une meilleure gestion des biens ainsi placés sous « main de justice ».
Aussi, malgré la pertinence de son institution et en dépit de ses résultats encourageants, force est de constater que l’OCLEI évolue malheureusement dans un environnement national ambigu face à la corruption. En effet, ses enquêtes sont ralenties par diverses obstructions qui perdurent. D’autre part, son président a déploré, dans son dernier rapport, une baisse drastique du nombre des déclarations de biens déposées à la Cour suprême.
Pour changer la donne, l’OCLEI a formulé plusieurs recommandations à l’endroit des autorités, dont entre autres : alléger, voire supprimer les privilèges de juridiction et les immunités dans les dossiers de délinquance financière, une préoccupation également prise en compte dans la nouvelle loi fondamentale que vous avez promulguée le 22 juillet 2023 ; mettre en place un cadre juridique de protection des lanceurs d’alerte et d’autres acteurs de la lutte contre la corruption ;
Il s’agit aussi et surtout de lever les obstacles à l’accès de l’OCLEI aux documents domaniaux et fonciers ; de renforcer la capacité des services domaniaux et fonciers dans la gestion de leurs archives.
Ces recommandations ont visiblement retenu l’attention du colonel GOITA qui a salué le travail abattu par l’OCLEI, avant de l’exhorter à intensifier les actions de prévention t de sensibilisation, sans oublier la lutte proprement dite contre ce fléau, entendez « tolérance zéro ».
Par Abdoulaye OUATTARA